par Prof. LOHATA TAMBWE Okitokosa Paul-René, KIBISWA Naupess, OKONGANDJOVU Lombela
En général, l’histoire de l’administration de notre pays est caractérisée par la domination des autorités centrales sur les autorités locales : malgré le système régionaliste en vigueur dans le pays colonisateur, la RDC est un Etat unitaire et hyper centralisée. Nombre de facteurs permettent d’expliquer cet état de choses, parmi lesquels on peut retenir le poids de la colonisation, l’institutionnalisation du parti unique et de l’idéologie de l’authenticité, la personnalisation du pouvoir ainsi que le poids encore de forces centrifuges qui défavorisent la construction d’un Etat moderne et centripète :
1° Le poids de forces centrifuges
Celle-ci est révélée par l’accroissement des pouvoirs au profit du président à travers notamment :
a) La constitution de 1967, plusieurs fois modifiée ;
b) Le discours officiel de l’authenticité : celle-ci soutient que dans le contexte de la tradition africaine, le chef de l’Etat détiendrait tous les pouvoirs. Dans ces conditions, la gestion entière du pays devrait se réaliser au centre ; même les chefs de l’Etat anti-Mobutistes partagent inconsciemment cette affirmation ;
On sait que les institutions administratives coloniales ont été très centralisées, toutes les autorités centrales (à l’exception du gouverneur général) vivaient à Bruxelles et dirigeaient le Congo belge à partir de là. Elles ont donc influencé les structures administratives de la deuxième république notamment. Comme le retiendrait G.Timsit, les institutions coloniales servent de « facteur multiplicateur » dans les pays du Tiers – Monde. Cette influence a été manifeste et consciente lors de la deuxième république : MPINGA Kasenda n’a-t-il pas écrit qu’en raison de l’efficacité dont aurait fait preuve lesdites institutions coloniales, la constitution d’un Etat fort et unitaire passe par elles. Il a ainsi encouragé le régime Mobutu qui s’en est inspiré. Il est fort surprenant de constater que ce genre de position ait été prise par un grand idéologue de l’authenticité, idéologie officielle du régime.
Compte tenu de ces facteurs, la RDC est-elle décentralisable ?
La décentralisation dans ces conditions, n’est possible et viable que sous certaines conditions :
- éducation politique et formation d’une conscience nationale ;
- promouvoir l’initiative privée et doter les entités de base des moyens conséquents : la constitution de la 3ème république a préconisé la retenue des 40% à la source en lieu et place de la rétrocession ;
- démocratisation approfondie de la vie politique locale (recours à l’institution du référendum) ;
- rupture avec la tradition coloniale ;
- la rationalisation de la gestion de la chose publique.
On verra successivement l’administration centrale (I) et les administrations locales (II), avant de passer à la conclusion générale (III).
I. ADMINISTRATION CENTRALE
Contrairement à la thèse de certains juristes comme E.lamy, il existait une seule autorité centrale titulaire du pouvoir exécutif ou administratif à l’époque du Congo belge, et cela particulièrement à partir de 1908 : c’est le roi.
Cependant, à coté de celui-ci, il y avait d’autres autorités centrales mais déléguées. On peut citer le ministre de colonie ainsi que le gouverneur général que l’on trouvait au Congo (Léopoldville) ; le ministre de colonie et le roi vivaient à Bruxelles (centralisation).
En principe, le roi étant le principal détenteur du pouvoir exécutif ainsi que le stipulait la charte coloniale en son article 8 : « le pouvoir appartenait au roi, il est exercé par voie de règlements et arrêté » (Cfr. Code et loi du Congo belge, Piron et Devos page 11) ; c’est pour cette raison qu’une disposition de la jurisprudence coloniale (Cfr. Principe de l’égalité) indiquait que « les cours et tribunaux ne peuvent donner effet aux actes du pouvoir exécutif qui ne sont pas conformes aux décrets royaux ». Certes, le décret dans la conception belge avait force de loi, mais les mécanismes de son élaboration le rapprochaient des actes administratifs décisoires.
Dans le même ordre d’idées, une disposition jurisprudentielle ajoute immédiatement que « lorsqu’une matière est réglée par décret, il n’appartient pas au gouverneur général de légiférer sur ce point par une ordonnance. La nullité de la disposition prise par le gouverneur général entraîne l’application du décret » (cours d’appel d’Elisabethville, 03 avril 1937 et BOMA, 01 septembre 1906, codes et lois du Congo Belge, p2, Cit.).
Même si le roi disposait d’énormes pouvoir, ne sous-estimons pas pour autant ceux de ses collaborateurs. S’agissant du ministre de la colonie, la charte coloniale était catégorique quant au rôle qu’il devait jouer dans la production des décrets royaux. Dans son article 7, on constate ce qui suit : « « le roi exerce le pouvoir législatif par voie de décret. Les décrets sont rendus sur proposition du ministre de colonie… » (Cfr.Ibid.). Dans le même ordre d’idées, il ressort de l’article 9 du même texte fondamental que : « aucun acte du roi ne peut avoir d’effets s’il n’est contresigné par un ministre, qui par cela seul s’en rend responsable ».
Quant au gouverneur général, il était habilité à prendre des actes législatifs pendant les périodes des troubles (comme lors de la deuxième guerre mondiale). Ces actes avaient une validité de six mois. Après cette durée, ces décisions pouvaient être confirmées par les décrets ou les ordonnances du roi, s’il les juge valables.[1]
Ce qui veut dire qu’en temps normal, le gouverneur général agissait par voie de délégation ordinaire. Mais, contrairement à la thèse défendue par E.Lamy, selon laquelle[2], le pouvoir exécutif appartient au roi (arrêté royaux notamment) et au gouverneur général (ordonnances), avant d’ajouter que les deux autorités sont différentes des autorités déléguées comme les gouverneurs de provinces, les commissaires de districts, les bourgmestres et les représentants de chefferies ayant comme étendue le ressort territorial de leur autorité.
DEUX IDEES FONDEMENTALES SE DEGAGENT DE CETTE AFFIRMATION :
1° Le pouvoir exécutif serait détenu par le roi et le gouverneur général ;
2° Une autorité administrative déléguée n’agirait que sur partie du territoire.
Les raisons ci-dessous nous permettent de rejeter cette position :
1° Elle contredit les dispositions de la charte coloniale relatives à l’article 8, que nous avons déjà cité, selon lesquelles, « le roi est titulaire du pouvoir exécutif » ;
2° Si le gouverneur général l’exerce ou il le fait en qualité d’autorité administrative déléguée, conformément à l’article 22 de la charte coloniale, selon lequel : » le pouvoir exécutif ne peut déléguer l’exercice de ses droits, excepté aux personnes ou corps constitués qui lui sont hiérarchiquement subordonnés. Les gouverneurs généraux et dans les territoires constitués par le Roi en vices-gouverneurs généraux (Rwanda – Burundi) exercent par voie d’ordonnance le pouvoir exécutif que le Roi délègue ».[3]
3° Les autorités comme les gouverneurs des provinces, le commissaire de district, du territoire etc n’étaient pas seules qui aient été qualifiées de déléguées. Mais encore, le gouverneur général car le fait d’avoir comme étendue le ressort ou compétence territoriale limitée n’est pas, à notre avis , un critère de délégation de pouvoir : les autorités administratives décentralisées qui sont pourtant limitées territorialement ( chef de collectivité par exemple.) en ce qui concerne leur compétence ne sont pas des autorités déléguées : elles ont leurs pouvoirs propres ; sauf si elles agissent par délégation du pouvoir central sur les compétences de celui-ci : les autorités locales décentralisées ont un double statut.
L’administration centrale du Congo belge a disparu avec l’accession de notre pays à l’indépendance, avant de resurgir sous certains aspects pendant la deuxième république.
- L’Administration de la première république
La loi fondamentale de 1960 a institué un bicéphalisme ou dyarchie au sein et au sommet de l’exécutif. D’après ladite loi, le président de la république devrait déterminer le « cadre de l’action du gouvernement » et le premier ministre définirait les actions et le programme liés à la gestion[4]. Concrètement, l’article 14 de cette loi disposait que « le pouvoir exécutif appartient au chef de l’Etat sous le contreseing du ministre responsable ». En revanche, « le premier ministre conduit la politique de l’Etat en accord avec le conseil des ministres qu’il préside. Il dirige l’action du gouvernement » (article 36).
Apparemment, le président de la république devrait jouir d’une certaine prépondérance en matière exécutive. Ainsi nommait-il le gouvernement, même si ; celui-ci était responsable devant le parlement (Cfr. Articles 42-46). Il assurait le commandement des forces armées, il disposait d’énormes pouvoirs relatifs aux nominations des membres de la haute administration.
En pratique, le vrai détenteur du pouvoir exécutif était le premier ministre. D’abord, on est dans le régime parlementaire. Ensuite, le premier ministre était majoritaire au parlement ; il ne pouvait pas logiquement être renversé par celui-ci, comme l’affirme Miaille, « la vraie origine de la loi est politique ». Enfin , les décisions administratives qui devraient être signées par le président ne pouvaient être exécutées ou avoir des effets que moyennant contreseing ministériel, or, aucun ministre ( ou mieux la majorité des membres du gouvernement) n’accepterait de contresigner s’il avait reçu des consignes contraires de P.E Lumumba, chef de la majorité et du gouvernement.
Il faut ajouter l’idée que conformément aux dispositions de l’article 36, la conduite des affaires de l’Etat implique le choix des moyens et instruments techniquement et politiquement appropriés : l’application des décisions n’est possible que lorsqu’elle ne contredit pas les objectifs du parti majoritaire au parlement. Même si le gouvernement dispose réellement des seins propres, le problème réside dans la légitimité de ces derniers.
Certes, sur le plan des principes, la constitution du Luluabourg (1964) a renforcé la fonction présidentielle, mais on n’était pas autant sorti du parlementarisme. Le gouvernement, avant d’entrer en fonction devrait être investi (confiance) par le parlement (députés) même si le parlement perd les pouvoirs de censurer un gouvernement qu’il a régulièrement investi ; celui-ci étant devenu responsable devant le président de la république[5], plus encore le parlementarisme est généralement profitable au premier ministre dans une période de cohabitation comme celle que nous avons connue au cours de la première république. Il a fallu attendre la venue de Mobutu au pouvoir pour qu’une rupture avec la loi fondamentale ait vu le jour.
- deuxième République
Comme on vient de l’annoncer, l’administration qui va élire domicile lors de la deuxième république, est une véritable rupture par rapport à la période précédente. Une option délibérée est prise en faveur de la centralisation. Nombre de raisons expliquent ce choix : la crise politique en générale, et les luttes « ethniques » en particulier, ayant abouti à l’affaiblissement de « l’Etat - nation » (balkanisation du Congo (zaïre) en 4 Etats : Kinshasa, Katanga, sud - Kasaï et Stanley ville. L’idéologie de l’autorité particulièrement le thème de culture du chef et la personnalité du président Mobutu [6] ainsi que le poids de la colonisation ont influencé la centralisation. La conjugaison de ces facteurs a donné naissance à un Etat relativement « fort », unitaire et hyper centralisé, et renforcé la centralisation des pouvoirs entre les mains du chef de l’Etat.
Seul titulaire du pouvoir exécutif, le président de la république exerce à la fois le pouvoir du chef de l’exécutif et du gouvernement. Les pouvoirs séparés dans la constitution de Luluabourg et dans la loi fondamentale sont confondus dans ses mains. Comme responsable du pouvoir exécutif, le chef de l’Etat nomme le gouvernement, préside le conseil des ministres et applique les décisions législatives. Comme chef du gouvernement il dirige la programmation générale. L’article 20 de la constitution le déclare clairement en ces termes : « Il détermine et conduit la politique de la nation, il fixe le programme d’action du conseil exécutif national, veuille à son application et informe le conseil législatif de son évolution ».
Par ailleurs, en sa qualité du chef de l’exécutif, l’article 29 du même texte dispose que c’est à lui que revient le pouvoir de nommer et de révoquer les membres du conseil exécutif national,de déterminer les attributions de chacun , ainsi que le pouvoir de fixation des conditions de coordination de l’action de cet organe. Lesdits membres prêtent serment devant lui.
Comme l’a bien fait remarquer E.lamy [7], les pouvoirs présidentiels sont de deux ordres : d’après l’article 27 de la constitution de 1967, révisée en 1974, « le président assure l’exécution des lois et fait les règlements de police et d’organisation interne de l’administration ».
D’autre part, le président bénéficie des pouvoirs de police, il s’agit des actes présidentiels (ordonnance relative isolée) qui ne sont pas liés par une loi antérieure. L’article 38 de la constitution de 1967 autorisait le président à agir en matière de police (maintien de l’ordre, salubrité et tranquillité publique) ainsi que dans l’organisation interne de l’administration sans être lié par une loi parlementaire ou ordonnance-loi .il peut, cependant, être lié par des dispositions constitutionnelles ou des décisions d’Etat. Il en est ainsi de l’ordonnance n°72/419 du 01 février 1972, portant organisation de certains service du président de la république : « le président de la république, vu la constitution, notamment les articles 20 et 27, ordonne », il s’agit, en fait des actes relativement liés.
En tout état de cause, les pouvoirs présidentiels sont immenses, non seulement parce que le président peut interpréter la loi, mais encore détenait selon E.Lamy un « pouvoir résiduaire » qui lui permettait conformément à l’article 47 de la constitution de modifier après l’avis de la cour constitutionnelle, des dispositions législatives incompétentes, ou qu’il aurait estimé comme telles.
Compte tenu de ces importants pouvoirs, les collaborateurs du président dans le cadre du conseil exécutif ne détiennent pas de pouvoirs propres. « Le chef de l’Etat (de la deuxième république, contrairement à KASA-VUBU) est désormais seul titulaire », écrit Lubadika.
D’abord, il faut souligner que le conseil exécutif n’est pas une autorité administrative mais un cadre où se retrouvent les responsables politico - administratifs. Ce conseil a un double statut. ( cfr. Lubadika in Mpinga et Gould, op.cit) :
1° Il est considéré comme un organe de délibération parce que sous la direction du président de la république, les réunions du conseil aboutissaient à des actes ou décisions administratives (ordonnance, ordonnance-loi, projet de loi) ; on peut à ce sujet se référer à l’article 10 de la constitution de 1967.
2° Mais cette même institution était aussi organe de consultation. Toutes les rencontres de cet organe n’aboutissaient pas à la prise des décisions, le président y prenait des avis consultatifs.
Comme le président de la république est le titulaire du pouvoir exécutif, les commissaires d’Etat étaient considérés comme autorités centrales déléguées qui apportent, selon l’expression de l’ordonnance n°721411, leur concours au président. Ils prenaient des décisions par voie d’arrêté. Les commissaires d’Etat agissaient encore par voie de délégation de pouvoir présidentiel, pour édicter des mesures de détails relatives à l’exécution des actes des autorités politiques et administratives supérieures. Cette situation sera fondamentalement modifiée lors de la période de transition même si le texte de base (ord -loi de 1982) sur l’organisation du territoire ne sera abrogé qu’en décembre 1995, soit près de cinq ans après lancement de la transition. En fait, ce texte n’a été abrogé qu’en 1998, soit un an après la prise du pouvoir par L.D.Kabila.
- PERIODE DE TRANSITION
Malgré la pluralité des textes constitutionnels qui caractérise cette période, qui a vu le jour à partir de 1990 (constitution de 1967 modifié dernièrement en juillet 1990, acte portant dispositions constitutionnelles issus de la CNS en 1992, acte harmonisé du conclave de 1993 et acte constitutionnel de transition), nous ne retiendrons que le dernier texte en vigueur adopté en 1994 (l’acte constitutionnel de transition), en raison notamment du consensus qu’il a suscité. Les traits ci-dessous s’y dégagent.
Le président de la république cesse d’être l’unique titulaire du pouvoir exécutif et administratif. Certes, le principe de légalité lui est favorable, en ce sens que ses actes décisoires dits ordonnances par rapport au décret du premier ministre et à l’arrêté ministériel continuent d’occuper le sommet des normes administratives (cfr. Article 43)- il en est de même dans la constitution de la troisième République adoptée en 2006-. Mais l’affaiblissement dans ses prérogatives réside non seulement dans le fait que ses ordonnances sont « contresignées par le ministre compétent» (article 47), mais encore lesdites ordonnances ne sont plus isolées : il les prend, sur proposition du gouvernement, réuni en conseil des ministres. Il en est ainsi des dispositions de l’article susmentionné et ayant trait aux nominations des hauts fonctionnaires, qui requièrent même un avis conforme du haut conseil de la république – parlement de transition.
Plus encore, le gouvernement, comme lors de la première République « conduit la politique de la nation » (article 75). Il est, en outre, reconnu comme titulaire du pouvoir exécutif et administratif. C’est ainsi qu’il est autorisé à procéder « aux nominations des cadres de commandement autres que ceux visés à l’article 47 du présent acte par le décret du premier ministre délibéré en conseil des ministres et contresigné par le ministre compétent » (l’article 76).
Dans le même ordre d’idées, le parlement affaiblit les pouvoirs présidentiels, au regard notamment de la nomination et de la révocation des membres du gouvernement (articles 78, 79 et 81). Classiquement, soutiendrait le professeur Djelo E.O. il devait régner sans gouverner (cfr. Cours des institutions politiques du Zaïre, U.L.P.G.L de 1995 à 1996). Dans la pratique, le fait que MOBUTU ait disposé de la majorité au parlement, l’autorisait à violer impunément la constitution.
II. ADMINISTRATION LOCALE (AUTORITES LOCALES)
Hormis la première République, l’administration territoriale congolaise est dominée par le pouvoir central. Les entités locales sont dépourvues des compétences propres comme on va le démontrer ci-dessous. Dans la première partie, on a vu que l’essentiel d’importants pouvoirs confiés au centre reviennent en droit et en pratique au chef de l’exécutif. Outre le phénomène de « délégation au sommet », l’administration territoriale congolaise se caractérise par l’inexistence de la base.
- Administration locale coloniale
Au départ, les autorités coloniales ont fait éclater de grandes chefferies traditionnelles préexistantes ; ce qui leur a permis de mettre sur pieds plusieurs sous chefferies petites avant de les doter de l’autonomie[8].
C’est seulement à partir de 1933 qu’elles ont procédé aux regroupements administratifs, ensembles plus vastes dénommés secteurs. « Ce mouvement de réorganisation et de simplification s’est poursuivi jusqu’en 1958 si bien qu’entre ces deux dates et selon P.Demunter, les chefferies passent de 1546 à plus de 3000 et les secteurs de 0 à 523 ».
En réalité, les institutions administratives coloniales étaient plus centralisées que décentralisées, comme le montre bien G.Young : c’est seulement à partir de 1923 que les institutions locales vont naître grâce au décret du 12 janvier 1923, lequel avait créé les « districts urbains » mis en place à Léopoldville dès 1923, ils l’ont été à Elisabethville et Jadotville respectivement en 1942 et en 1943. Mais ces institutions ne concernaient que les membres nommés par le gouverneur, même si avec le temps, les chambres de commerce y étaient représentées[9]. Pour les noirs, l’ordonnance de 1945 a créé une cité « indigène », le comité urbain s’étant opposé à la création des centres extra coutumiers. Mais en 1953, on a divisé la cité (Léopoldville) en plusieurs « zones ». Cependant, le conseil de zone (deux membres librement choisis) n’avaient que des « fonctions consultatives » au niveau de la cité, c’est l’administration qui choisissait le chef de cette entité [10] : bref, il n’y a pas décentralisation.
L’absence des structures véritablement décentralisées est révélée par le défaut de la démocratisation de la vie locale. Ainsi l’article 22 de la charte coloniale rejetait-elle toute possibilité du partage du pouvoir avec les noirs en ces termes, répétons-le : « le pouvoir exécutif ne peut déléguer l’exercice de ses droits, excepté aux personnes ou corps constitué qui leur étaient hiérarchiquement subordonnés…, la délégation du pouvoir législatif est interdite ».
L’idée d’organiser les consultations différemment selon les quartiers (noirs et blancs) avait gagné les autorités coloniales en 1952 : les véritables élections non discriminatoires seront préconisées en 1956. Ainsi, voit le jour l’ordonnance d’exécution du 14 septembre 1957 accordant notamment « le droit d’éligibilité aux personnes de sexe masculin ayant atteint l’âge de 25 ans » ; les femmes congolaises ayant été considérées, dans ces conditions , comme immatures ou métèques. Avant d’arriver à l’application de cette ordonnance, nombre d’obstacles se sont érigés sur la voie de la décentralisation : D’abord on a hésité sur la formule de nomination ou élection du bourgmestre (lequel ne pourrait être qu’un blanc), nommé par l’autorité provinciale, il aurait la main mise et pouvoir de contrôle et véritable tutelle sur le reste des bourgmestres de la ville [11].
La véritable décentralisation interviendra en 1957 (décret du 26 mars 1957) : Les bourgmestres seront désormais élus par le conseil communal, même si les responsables de la cité continueront à être nommés par l’autorité administrative provinciale, le gouverneur de province. Il faut encore, noter un progrès dans le découpage administratif (territorial) : toutes les communes ont le même statut (dimension) même si, en raison de l’effectif (en population) de noirs, les communes de ceux-ci étaient en nombre plus importants que celles des blancs.
En dépit de cette situation, les belges étaient toujours, plus représentés, au sein du conseil urbain, car les groupes d’intérêt à qui, il revenait le pouvoir de choisir des représentants étaient en majorité blanche, il s’agit du principe de la parité de fait,<<>>. [12]
S’agissant de réformes rurales, le décret de 1957 a été exécuté par l’ordonnance d’application du 29 mai 1958.[13] :
· Organisation des élections directes ou indirectes pour désigner les responsables de toutes les circonscriptions ; pour les secteurs, les chefs devraient désormais être élus pour une durée de 10 ans et non plus nommés à vie par les autorités administratives ;
· « Les chefs de groupement » qui composaient les secteurs, étaient « membres d’office » de ceux-ci, comme les « anciens » à l’égard des chefferies. Malgré ce progrès, ces reformes ont moins intéressé la population congolaise : l’idéologie de l’indépendance étant devenue très attractive.
- Administration locale de la première République (1960-1965)
De 1960 à 1965, l’organisation territoriale issue de la loi fondamentale, premier texte constitutionnel du Congo indépendant, était très décentralisée ; il s’agissait en fait d’un fédéralisme « implicite ». Les entités fortement décentralisées étaient dirigées par les organes politiques (assemblées provinciales) et exécutifs (président de province) dotés d’énormes pouvoirs. En revanche, les échelons inférieurs comme les districts et les territoires ont conservé leur statut administratif déconcentré.
Il ne faut pas cependant surestimer les pouvoirs obtenus par les provinces. Certes, elles étaient dotées d’une personnalité juridique avec autonomie de gestion, mais le centre disposait d’énormes pouvoirs.
L’institution de commissaire d’Etat (équivalent du préfet en France) prévue dans la loi fondamentale devrait être interprétée dans ce sens, il devrait représenter le pouvoir central en milieu local, même si en pratique, cette institution n’a pas vu le jour. Plus encore, une cour constitutionnelle avait été prévue, pour connaître des conflits ou litiges opposant le centre et les gouvernements provinciaux ; elle n’avait pas non plus vu le jour.
Mais le mouvement de l’autonomisation des provinces s’est accéléré non seulement politiquement (cfr. « Fragmentation du Congo à la suite de la crise de 1960 »), mais encore juridiquement : d’abord en 1962 (suppression de six provinces) et ensuite en 1963 (naissance de 21 provinces).
Ensuite, en 1964 c’est comme pour sortir des influences belges qu’une nouvelle constitution appelée <<>> sera adoptée en janvier 1964. celle – ci ressemble, cependant, pour ce qui est de la politique territoriale, à la foi fondamentale sur les listes des pouvoirs centraux et provinciaux, même si à partir de 1964 le fédéralisme devient explicite.
Les traits ci-dessous se dégagent de la constitution de Luluabourg :
- Abandon de l’idée d’un représentant du pouvoir central (commissaire d’Etat) mais les services fédéraux échappaient à l’autorité provinciale ;
- Institution d’une cour constitutionnelle pour connaître notamment les litiges opposants le centre aux provinces.
Malgré la forte décentralisation (fédéralisme) consacré dans le texte en étude, le pouvoir central a conservé un certain nombre de pouvoirs significativment, symboliques et souverains : la gendarmerie (armé), la sûreté, la police (voir même provinciale) relève dudit pouvoir.
Quant aux finances, Young retient que le pouvoir central fixe le montant de contribution fiscale et la percevait aussi : droit des douanes, impôts sur les revenues de société. « Le gouvernement central avait aussi le droit de lever des droits d’accise et les taxes de consommation concurremment ». D’après la constitution, les provinces recevaient 50% des taxes à l’exportation minière. Si une province devait recevoir subsides fédéraux (ce qui serait inévitable étant donné le peu de pouvoirs de province en matière fiscale), le gouvernement central avait droit de regard sur le budget provincial ou du moins sur les postes de ce budget auxquels iraient lesdits subsides. Hormis ce domaine et celui de la sécurité, cette période a connu des entités fortement décentralisées (fédéralisme).
- Deuxième République : administration locale
Sur les pouvoirs locaux, lors de la deuxième République, on peut se référer à l’introduction générale de cet article. Rappelons tout simplement qu’il n’y a pas existé d’entités locales véritablement décentralisées.
Certes, en 1978, une loi sur la décentralisation a été adoptée, sous la contrainte des guerres du Shaba : ce qui a fait que les élus locaux désignaient, au second tour, en leur qualité de grands électeurs, les autorités exécutives, en leur sein, mais cette possibilité leur a été retirée :
La loi portant organisation territoriale, administrative et politique de 1982 a confié désormais discrétionnairement, cette compétence, au président de la république même si son choix (nomination) devait porter sur une personnalité élue, faisant partie du conseil municipal notamment : Le tout dans la logique monopartiste. La raison officielle de ce revirement n’ayant été que l’instabilité politique qui a gagné les entités décentralisées. Cela est comparable à la situation qui prévaut dans les provinces depuis 2006 où nombre de gouverneurs et leurs gouvernements sont tous les jours menacés par les assemblées provinciales. Cela s’explique par l’inexpérience de la démocratisation à la base et la logique du champ politique inspirée par les comportements qui ont élu domicile au centre. Pour y mettre fin, il faut développer une campagne d’éducation politique ; de plus, instituer le référendum à la base pour les questions ayant trait notamment à la motion de censure.
- Première Transition
Malgré le fédéralisme institué par l’Acte portant dispositions constitutionnelles issu de la conférence nationale souveraine de 1992, l’ordonnance-loi de 1982 a demeuré, elle ne sera abrogée qu’en 1995. C’est ainsi qu’un autre texte appelé « loi portant décentralisation territoriale, administrative et politique de la république du zaïre pendant la période de transition » sera adopté par le HCR-PT en date du 21 décembre 1995, conformément aux recommandations de l’Acte Constitutionnel de la Transition en son article 104.
Cette nouvelle loi présente des points de ressemblance et de différence avec celle qui la précède. Nous reprenons ici les grandes lignes de notre communication faite au colloque organisé par la faculté de droit de l’U.L.P.G.L., portant sur la loi n°95/005 du 21 décembre 1995. Ce colloque s’est tenu en août 1996 à Goma.
· Rupture et avancées.
- Avancées
La loi n°95/005 du 21 décembre 1995 comprend un certain nombre d’avancées par rapport au texte de 1982 : (Ord-loi 006 du 25 février 1982).
- Renforcement du contrôle des organes délibérants sur les organes exécutifs, ce contrôle peut déboucher même sur le renversement de ceux-ci. En réalité, l’organe délibérant n’est pas en bonne position pour le faire, étant dépourvu du pouvoir effectif de désignation des membres du collège exécutif (Cfr.infra) ;
- Instauration d’une gestion collégiale par les organes des entités décentralisées, il s’agit d’une initiation au partage et à la dépersonnalisation du pouvoir, la concentration chère à la deuxième république peut ainsi être découragée ;
- Suppression de la hiérarchie exercée par le ministre de l’intérieur sur les entités décentralisées, au profit de la tutelle. Cette mesure permet la « normalisation » de la technique de la décentralisation car il n’est pas convenable que le centre continue , comme on le faisait lors de la deuxième République, d’exercer un contrôle permanent sur les entités décentralisées dans les matières qui relèvent de leurs compétences ;
- Enfin, la multiplicité du nombre d’entités décentralisées : ainsi, la zone rurale considérée comme déconcentrée ou simple circonscription administrative dans la loi de 1982 a acquis la qualité d’entité décentralisée.
- Reculs
Malgré ces avancées relatives, la loi en étude demeure centralisatrice à plusieurs égards ; ce qui annule les quelques avancées susmentionnées et nous conduit à admettre l’idée que la loi portant décentralisation n’existe pas.
- D’abord, les exécutifs à tous les niveaux des entités « décentralisées » échappent en ce qui concerne leur légitimité (désignation) aux organes délibérants correspondants.
- Le pouvoir de désignation revient au gouvernement, au collège exécutif régional pour les entités inférieures et surtout aux deux familles politiques : la centralisation.
- Prenons l’exemple de la désignation des autorités exécutives les plus grandes de l’administration régionale ; d’après l’article 28 de la loi en étude, « le gouverneur et le vice-gouverneur sont nommées conformément à l’article 47 de l’acte constitutionnel de transition. A cet effet, ils sont présentés par chacun de deux familles politiques. C’est seulement pour les membres moins importants de l’exécutif (désignés conformément à l’article 76 de l’A.C.T) que l’article 29 prévoit un avis de conseil régional. Mais, même ici il ne s’agit que d’un avis consultatif, l’avis conforme n’est requis nulle part.
Il est vrai que politiquement le conseil régional est composé des membres issus de deux familles politiques qui ont le pouvoir de présenter les membres du collège exécutif, mais n’oublions pas que les deux familles ne constituent nullement des institutions « instituées ».
C’est pourquoi ; la loi ne s’adresse pas à elles pour exercer un contrôle politique officiel sur les membres du collège exécutif mais aussi au conseil régional. Plus encore, le comportement des dirigeants de partis politiques qui composent lesdites familles politiques sera centralisateur, au moment de la désignation des autorités exécutives (comme à d’autres occasions) en ce sens que la logique du fonctionnement de tout parti politique est centralisatrice et oligarchique.[14]
C’est pour tenter de cacher cette réalité que les anciens dirigeants des pays socialistes ont inventé un principe insolite appelé « centralisme démocratique ». Le caractère centralisateur des partis politiques sera d’autant plus inévitable que leurs dirigeants nationaux vivent tous à Kinshasa. Privé du pouvoir effectif de la désignation des membres de l’exécutif collégial, l’organe délibérant correspondant risque, grâce à l’institution de contrôle, d’empêcher le premier de travailler, il s’agit d’une attitude de récupération du pouvoir de désignation perdu ou lui privé par la loi.
En revanche, l’exécutif risque de vouloir ignorer les organes délibérants, n’émanant pas de lui. Il obéirait plus aux partis politiques (ou familles) qu’au conseil régional, lequel en tant qu’institution officielle développera des intérêts propres et différents de ceux des familles politiques ; ce qui peut occasionner une grande instabilité comme au niveau national. Cette situation concerne également des entités administratives « décentralisées autres que régionales ». Les organes délibérants n’ont aucune emprise (désignation) sur le conseil exécutif. Les membres de ceux-ci sont désignés ou reconnus par le conseil exécutif régional sur présentation de deux familles politiques. Pour les collèges exécutifs de la ville (art.79), du territoire (art.99), et de la collectivité (art.118) non seulement que l’exécutif échappe aux organes délibérants, mais encore, les institutions de décentralisation n’émanent pas du peuple.
Ensuite, la démocratisation de la vie locale est absente. Tous les organes politiques et exécutifs ne procèdent pas des élections, ce qui veut dire que le peuple local n’a pas été consulté. Deux forces politiques appelées « familles politiques » se sont unilatéralement substituées au peuple ; rien ne montre que celui-ci ait mandaté celle-là d’agir en son nom. Le grand critère ou condition politique de la décentralisation subit ici une grande entorse.
Certes, la loi est claire en disposant que les élus locaux de 1989 dirigent les entités locales décentralisées, la seule condition étant d’intégrer de façon paritaire les deux familles politiques (encore une entorse au principe démocratique de liberté politique). L’article 6 de cette loi l’exprime bien en ces termes, s’agissant par exemple de la composition du conseil régional :<<>> :
a) Des membres de l’ancienne assemblée régionale de 1989 ;
b) Des anciens conférenciers ou non conférenciers aux prorata du nombre des délégués de l’autre famille politique de la catégorie au liftera a ;
c) Toute fois, le conseil régional des régions n’ayant pas organisé les élections municipales ni locales de 1989 est composé de manière paritaire à raison de deux délégués par les deux familles politiques parmi les anciens conférenciers ou non conférenciers.
Le haut conseil de la république parlement de transition en prend acte. Ces dispositions posent des problèmes à la fois juridiques et politiques. Sur le plan juridique, les élus locaux de 1989 l’ont été dans le cadre de la loi de 1982. Celle-ci ayant été abrogée en 1995, lesdits élus perdent également la légitimité et la légalité. Ils auraient le droit de travailler pendant cette période de transition si le texte de 1982 n’a pas été abrogé, même si le problème de la constitutionnalité dudit texte se poserait encore. Il faut ajouter l’idée qu’en démocratie le respect du mandat (durée) est la règle.
Politiquement, les élus locaux de 1989 relèvent d’une logique différente et contradictoire de celle de la période de transition : le monopartisme d’abord s’est appuyé sur la cooptation et la censure partisane des candidats par le biais du comité central. Il n’est pas légitime que des personnalités « élues » dans un contexte comme celui-là soient appelées à diriger en ce moment où le pluralisme s’installe.
Enfin, l’effacement du local et la logique étatique au cœur des entités « décentralisées ».
La loi n°005 du 21 décembre 1995 portant décentralisation a été conçue conformément à la logique centripète. C’est justement le contraire de la logique décentralisatrice qui est par essence centrifuge. Les institutions locales y sont calquées sur le modèle des institutions centrales. Nombre des dispositions contenues dans l’ACT ont été imitées. C’est ainsi que l’idée que le pouvoir doit être partagé par les « deux familles politiques » est à maintes fois reprise dans la loi sur la décentralisation de 1995, en ce qui concerne notamment la composition paritaire des organes délibérants, le pouvoir de désignation des membres des organes délibérants (art.6) et des membres du collège exécutif (art.47) pour ne citer que des dispositions relevant de la région et ville (ce qui est aussi valable pour les autres entités).
Selon l’article 12, « le conseil régional est dirigé par un président désigné par l’une de deux familles politiques autres que celle à laquelle appartient le gouverneur de région » de même que celle de l’article 47 selon lesquelles, « le conseil urbain se compose de manière paritaire de deux délégués par commune désignés par les deux familles politiques parmi les membres de l’ancien conseil de ville…toutefois, en cas de rupture d’équilibre, la famille politique sous représentée procède à la désignation d’autres délégués aux prorata du nombre des délégués de l’autre famille ». Ces articles sont respectivement la reprise des dispositions de l’article 78 de l’ACT et de son préambule : le premier ministre, Il est présenté après concentration avec la classe politique par la famille politique à la quelle n’appartient pas le chef de l’Etat…Quant au préambule, on retient ceci :<<>>.
Enfin, les dispositions de l’article 6 de la loi de 1995 selon lesquelles, <<>
Le collège exécutif régional peut, avant l’expiration de son délai demander au conseil régional une nouvelle délibération de tout ou certaines dispositions de la décision.
Le texte ainsi soumis à la seconde délibération sera adopté par le conseil régional soit dans sa forme initiale, soit après modification à la majorité. Le conseil exécutif publie ou notifie la décision dans le délai fixé ci-dessus au bulletin officiel de région.
A défaut de publication ou de notification par le collège exécutif régional dans le délai prévu à l’alinéa ci-dessus, cette décision est publiée ou notifiée par le président du conseil régional>>. Ces dispositions sont la reprise ou la production de l’article de l’ACT, selon lequel le président de la république promulgue les lois dans les quinze jours de leur transmission par le président du HCR-PT. Il peut, avant l’expiration de ce délai, demander au HCR-PT, une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Le président de la république promulgue dans le délai fixé ci-dessus. A défaut, la loi est promulguée par le président du HCR-PT. Comme on le constate, on n’est pas en présence d’un nouveau texte ; la loi n°95-005 du 21 décembre 1995 n’est que la reproduction de la constitution de transition. On confond le principe de constitutionnalité (ou de conformité) des lois avec la reproduction du texte fondamental dans la loi : c’est un double emploi, dû au phénomène de « l’inconscience étatique » comme le dirait R. Laurou. Cette situation porte atteinte au principe de la décentralisation dont la logique devrait être centrifuge. Comment veut-on qu’un texte conçu pour construire un Etat centripète, puisse développer les entités locales ?
En reprenant des dispositions constitutionnelles dans la loi, les entités locales perdent leur autonomie ; elles sont désormais soumises à la logique centripète comme l’Etat lui-même. En conséquence, les maux dont souffrent l’Etat c’est-à-dire la lenteur administrative, la corruption, l’impunité, la démission et les conflits politiques bipolaires seront transférés à la base et rongeront celle-ci. De plus , la population locale ne sera pas associée à la gestion des affaires la concernant : la complexité des mécanismes politico - juridiques importés de l’Etat l’en empêcheront fut-ce, parce qu’il y a de moins en moins des cadres instruits en milieu locale et rural.
Au lieu de produire un texte d’application de la constitution, le législateur zaïrois a reproduit cette dernière au niveau de la base : le local n’existe pas. Un nouveau texte, est nécessaire car c’est pendant la période de transition que l’apprentissage des règles ou pratiques décentralisatrices et démocratiques s’impose. Bref, en l’état, la loi sur la décentralisation n’existe pas. Il en est de même de la loi Kabiliste de 1998.
Deuxième transition et l’avènement de L.D KABILA : le décret – loi n°81 du 02 juillet 1998 portant organisation administrative de la république démocratique du Congo.
La loi de 1995 présentée ci-dessus n’a jamais été promulguée ni publiée dans le journal officiel ; elle n’a donc pas été appliquée. Elle traduit, cependant, l’état d’âme et l’idéologie dominante de la période de « démocratisation » qui a suivi la fin du parti unique.
En effet, c’est la loi de 1982 qui a été appliquée jusqu’à la fin du régime de Mobutu, le 17 mai 1997. Ensuite, un vide juridique s’en est suivi jusqu’au 2 juillet 1998. Le décret – loi de cette année a donc abrogé la loi de 1982.
Il est révélateur de la tendance à la centralisation de l’administration congolaise que L.D KABILA, alors en rébellion à Goma, considérait Kinshasa comme « le centre de mal » auquel il aurait fallu mettre fin.
Le décret-loi de 1998 a selon le discours officiel, institué un état unitaire « décentralisé » ; nombre de points y consacrent, en réalité une forte centralisation : Sur les 11 entités administratives, 4 seulement sont censées être « décentralisées » (Cfr.Art.7) : il s’agit de la province, de la ville, du territoire et de la commune pour la ville de Kinshasa et 7 non « décentralisées » : le district, la commune autre que celles de la ville de Kinshasa, la cité, le secteur et la chefferie, le quartier, le groupement et le village. Plus de 60% des entités sont gérées soit en circonscriptions déconcentrées, soit en entités simples. Dans la pratique, aucune des entités n’est véritablement décentralisée.
Les autorités exécutives des entités dites décentralisées sont, sans distinction, toutes nommées unilatéralement par le chef de l’Etat (entités supérieures) ou le ministre de l’intérieur (entités inférieures). Elles ne sont nullement désignées par les populations. De plus, les candidats ont entre autres choses, l’obligation d’appartenir à la fonction publique (service public organisé en régie), étant donné qu’ils sont invités à << être >> revêtus du grade statutaire requis ». Dans le même ordre d’idées, selon l’article 117, « en cas d’absence ou d’empêchement du bourgmestre et de son adjoint, l’intérim est assuré par le chef de bureau de la commune ». A tous les niveaux, le fonctionnaire le plus gradé est revêtu des mêmes pouvoirs. D’après cette conception, la territoriale équivaut ou est égale à la fonction publique, organisé en régie ; celle-ci est toujours centralisée.
Certes, contrairement à la loi de 1982, le territoire devient une ED. Mais, ses autorités exécutives comme ailleurs sont nommées par le président de la république (Cfr. supra.).
Quant aux organes délibérants, ils ne sont pas élus ; ils sont remplacés selon le décret-loi, par des organes consultatifs sans pouvoir de décision ; ses membres sont également nommés par la plus haute autorité de l’Etat notamment (art.83). Ils ne sont pas encore opérationnels et l’exécutif gouverne et règne en « maître ». Bref, dans la pratique il n’y a aucune différence entre les EAD et les EA non décentralisées, la légitimité de leurs animateurs procède sans distinction du centre. La condition politique de la décentralisation n’est donc pas satisfaite : la marginalisation de la population dans la gestion des affaires la concernant y est consacrée.
En guise de conclusion, on peut affirmer que la pesanteur centralisatrice des institutions administratives territoriales du Zaïre a certainement des causes profondes (Cfr. introduction générale) : Il est surprenant de constater qu’elle demeure, malgré nombre de réformes décentralisatrices qui se succèdent depuis 1992 (le fédéralisme prôné par la CNS ou le caractère unitaire fortement décentralisé préconisé par les forces du conclave en 1993). Les principaux facteurs de cette situation sont les organisations administratives coloniales, la crise politico-administrative entre 1960 et 1965 et entre 1998 et 2003 (poids de forces centrifuges) ainsi que l’influence monopartiste et centralisatrice de la 2ème république. Les éléments de la loi n°5/005 du 21 décembre 1995 confirment notre thèse. Il en est aussi des éléments de la loi de l’AFDL sous la direction de L.D KABILA du 02 juillet 1998.
Une véritable politique de décentralisation ne sera donc possible que sous certaines conditions :
- éducation politique de la population et formation d’une conscience nationale ;
- promouvoir l’initiative privée et doter les entités de base des moyens conséquents : la constitution de la 3ème république a préconisé la retenue des 40% à la source en lieu et place de la rétrocession ;
- démocratisation approfondie de la vie politique locale (recours à l’institution du référendum) ;
- rupture avec la tradition coloniale ;
- la rationalisation de la gestion de la chose publique.
BIBLIOGRAPHIE
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- Sous la direction de G. Conac, Des institutions des Etats d’Afrique francophone, Economica, Paris, 1979.
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- Mpinga KASENDA et J.D.GOULD, Réformes administratives au Zaïre, PUZ, Kinshasa, 1973.
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- Protocole d’abord relatif aux concertations politiques entre les FPC et USOR et alliées, Palais du Peuple, Kinshasa, 1993.
- LOHATA TAMBWE. O., Idéologie démocratique au Zaïre, thèse de doctorat en science politique, en deux tomes, Faculté de Droit, université de Picardie, France, 1990.
- les accords de Sun City, avril 2003.
- Sous la direction de LOHATA. T.O. et MATESO K. Vulgarisation du droit aux populations, ULPGL, Goma, 1994.
[1] G.young, introduction à la politique zaïroise, PUZ, Kinshasa ? 1979
[2] E.Lamy, droit privé zaïroise, PUZ, 1979
[3] Ibid
[4] LUBADIKA Bota, in réforme administrative au Zaïre, 1972-1973 (sous la direction de Mpinga)
[5] PIERRE de Quirini S.J, constitution, pourquoi faire ? CPAS, Kinshasa, 1990
[6] LOHATA T.O., idéologie démocratique au Zaïre. Contribution à l’étude des systèmes politiques africains .thèse de doctorat, Op.Cit.
[7] E.Lamy, Op.Cit.
[8] Cit. épar Y.Prats et E.le Roy, administration territorial et les collectivités locales in Conac,OP.Cit.,p.189
[9] G.Young, introduction à la politique zaïroise, PUZ, Kinshasa, 1979 ce livre nous a largement inspiré pour la rédaction de cette partie et relative à l’administration locale coloniale et celle de premier République.
[10] Ibid
[11] Ibid
[12] Ibid
[13] Ibid
[14] L’article 47 de l’A.C.T. a trait à la liste des membres de la haute administration nommée par ordonnance présidentielle ; alors que l’article 76 concerne la liste des membres de la haute administration nommée par le gouvernement (décret du premier ministre).
Certes, il s’agit là de la conformité à la constitution, mais il ne reste pas moins vrai que ce sont des dispositions centralisatrices, en observant le rôle de deux familles.
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